Learning

Emploi des seniors  : Miser sur la compétence plutôt que sur l’âge 

Par Valerie Grasset-Morel | Le | Compétences

Les mesures déjà prises en France pour inciter au maintien en emploi ou au recrutement des seniors n’ont pas porté leurs fruits. Les stéréotypes négatifs vis-à-vis des seniors sont forts  : trop chers, trop vieux, has been… Heureusement, pour de nombreux employeurs, la compétence l’emporte sur l’âge.

Dans le cadre de sa réforme des retraites, le Gouvernement créé un index seniors pour obliger les entreprises à les recruter. Le succès sera-t-il au rendez-vous de cette politique du bâton  ?

Certains en doutent et misent plutôt sur des aides et des allégements de charges sociales.

Recrutement de collaborateurs seniors - © Canva.
Recrutement de collaborateurs seniors - © Canva.

«  Nous sommes à la recherche de compétences, quel que soit l’âge du candidat.  » Pour Bruno Pavie, le DRH du Groupe NGE (BTP), «  recruter un salarié de plus de 45 ans permet de bénéficier immédiatement de ses compétences, même s’il doit suivre une petite formation complémentaire pour être pleinement opérationnel. Ce qui compte c’est qu’il soit dynamique  ». Cette ouverture aux seniors ne fait pas florès en France. Selon la Dares, 56 % des 55-64 ans sont en emploi, contre 81,8 % des 25-49 ans. Ce taux d’emploi des seniors est inférieur de 4,5 points à celui de la moyenne de l’Union européenne qui est de 60,5 %, notamment en Suède et en Allemagne. 

C’est que les préjugés ont la vie dure. Les seniors auraient des prétentions salariales élevées, ils seraient moins adaptables que les plus jeunes, moins familiers avec les nouvelles technologies et ils auraient la santé fragile. Une représentation balayée d’un revers de main par le directeur de l’Association pour l’emploi des cadres, Gilles Gateau  : «  On imagine les cadres seniors plus exigeants sur le plan salarial, alors que nos enquêtes montrent qu’ils sont lucides et prêts à faire des concessions. A tort aussi, on les croit trop proches de leur fin de carrière, alors qu’un cadre de 55 ans a encore un quart de sa carrière à vivre, soit une dizaine d’années.  » 

«  La tête et les jambes  » 

Chez NGE, la valorisation de l’expérience des seniors s’applique dès le recrutement de jeunes candidats. «  Un binôme est systématiquement mis en place entre un salarié volontaire et le jeune. C’est un peu la tête et les jambes, indique Bruno Pavie. Les deux sont complémentaires : le tuteur senior explique les bons gestes professionnels et le jeune apporte son énergie et ses bonnes connaissances des nouvelles technologies par exemple.  » Le Groupe français de BTP dispose de 300 tuteurs «  tous expérimentés et formés  ». Ils suivent une formation de quatre jours au terme de laquelle, ils sont «  tuteurs agréés FNTP  ». 

On retrouve aussi cette fonction de senior-référent chez Boursorama, filiale de la Société Générale. L’accord d’entreprise sur la GEPP (gestion des emplois et des parcours professionnels) et sur la mixité des métiers, signé le 6 octobre 2022, prévoit que dans les services où sont recrutés majoritairement les jeunes collaborateurs, des collaborateurs seniors, en leur qualité de référent, sont chargés de leur accompagnement pendant les premiers mois. Les missions du senior-référent consistent à accueillir, aider les jeunes dans la découverte des outils, contribuer à l’acquisition de leurs savoir-faire professionnels et à participer à leur formation. Ce rôle de senior-référent fait partie des missions des salariés concernés. L’employeur doit donc leur laisser le temps nécessaire pour exercer leurs fonctions. Un temps qui est pris en compte dans leurs objectifs et leur évaluation. 

Index seniors   

Afin d’inciter les entreprises encore réticentes à embaucher des seniors, le Gouvernement souhaite l’instauration d’un index senior qui figure dans le volet «  pénibilité et emploi des seniors  » de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 qui porte la réforme des retraites. Envisagé sur le même modèle que l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, il prendra la forme d’un document permettant aux entreprises de justifier d’un taux d’employabilité de salariés de plus de 55 ans. Les entreprises pourraient encourir une sanction pouvant atteindre jusqu’à 1 % de la masse salariale si elles ne publient pas cet index. 

Il concernera dès le 1er novembre 2023 les entreprises d’au moins 1 000 salariés et à partir du 1er juillet 2024, celles de 300 à moins de 1 000 salariés (le texte est actuellement examiné par le Conseil constitutionnel qui rendra son avis le 14 avril 2023). De cet index, les entreprises n’en veulent pas  : «  Il n’est pas pertinent et il est impossible à établir », selon Patrick Martin, président délégué du Medef. «  Ce n’est pas parce que certaines entreprises ne sont pas vertueuses qu’il faut sanctionner les autres  », argue Bruno Pavie. Le président de la tête de réseaux des chambres de commerce et d’industrie (CCI France), Alain Di Crescenzo préfère, lui, «  l’incitation à la sanction  ». «  Plutôt que de sanctionner les entreprises, regardons le coût de non-emploi des seniors en termes de cotisations  », dit-il.  

Des mesures coercitives ont été mises en place par le passé qui n’ont pas eu l’effet escompté. C’est le cas de la «  contribution Delalande  » qui, en 1987, pénalisait les entreprises se séparant de leurs seniors. Le résultat aboutit à l’inverse du but recherché  : pour ne pas être taxées en faisant partir leurs quinquas, elles les licenciaient avant 49 ans… 

La piste de l’allègement du coût du senior 

L’allègement du coût des salariés seniors et/ou l’instauration d’une aide à l’embauche à l’instar des apprentis est une piste que beaucoup soutiennent. Selon l’Association nationale des DRH (ANDRH), 63 % des DRH sont favorables à un plan «  1 senior, 1 solution  » pour les plus de 55 ans, comme il y a un plan «  1 jeune, 1 solution  ». Il prévoirait notamment des incitations financières à l’embauche, des allégements de charges sociales et une sensibilisation sur les biais discriminatoires. 

Au cours du débat sur le PLFRSS (projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale), les sénateurs ont créé par voie d’amendement un «  CDI senior  » pour les plus de 60 ans, exonéré de cotisations famille pour compenser le coût des salaires de ces seniors. Le Gouvernement n’en voulait pas, estimant son coût trop élevé pour les finances publiques (plus de 800 M€ pour la branche famille). Le patronat est lui, plutôt favorable à ce CDI de fin de carrière assorti d’une exonération de charges. 

«  Les politiques publiques en matière d’emploi priorisent aujourd’hui les jeunes, notamment à travers l’apprentissage et l’emploi faiblement qualifié, et les allègements de cotisations. Pourtant, l’entrée sur le marché de l’emploi et les fins de carrière sont deux périodes sensibles nécessitant l’une comme l’autre l’appui des politiques publiques  », déclare Damien Lorton, consultant chez Tandem Expertise, lors d’un webinaire organisé par Miroir social en février dernier. 

«  Malgré un éventuel déclin des facultés physiques ou cognitives avec l’âge, ce qu’on appelle les “soft skills”, qui sont des compétences non liées à l’exercice direct du métier, peuvent prendre le relais, par exemple dans la gestion d’une équipe.  » Il s’agit donc de miser sur l’expérience comme facteur de compensation.