Apprentissage : les objectifs quantitatifs atteints, mais à quel prix !
Par Fabien Claire | Le | Dispositifs
Avec le financement de l’apprentissage au coût contrat sans limitation et une subvention massive à l’embauche à tous les niveaux de qualification, les objectifs quantitatifs de la réforme de 2018 « ont été atteints, voire dépassés, au prix d’un effort considérable des finances publiques », observe l’économiste Bertrand Martinot dans une note de l’Institut Montaigne.
En ouverture des assises des finances publiques lundi 19 juin, Bruno Le Maire a annoncé qu'« au moins 10 Md € d’économies » avaient été identifiées pour permettre le redressement des comptes publics de la France d’ici 2027. Parmi les leviers identifiés, le ministre de l’Économie a mentionné les aides à l’emploi en citant l’apprentissage. Est-ce la fin du quoi qu’il en coûte en la matière ?
La réforme de l’apprentissage initiée en 2018 est « un succès impressionnant en termes quantitatifs », relève dans une note publiée par l’Institut Montaigne le 14 juin 2023, Bertrand Martinot, directeur du conseil en formation et développement des compétences de Siaci Saint-Honoré. Avec 953 273 apprentis en mars 2023, le million de nouveaux contrats pourrait être atteint d’ici 2025, anticipant ainsi l’échéance de la fin du second quinquennat d’Emmanuel Macron visé par l’exécutif. Cependant, ce succès ne masque pas deux écueils :
- « Un faible développement de l’apprentissage aux niveaux Bac professionnel et infra-bac, là où sa valeur ajoutée en matière d’insertion professionnelle est la plus forte par rapport à la voie scolaire, » au profit de l’enseignement supérieur, « tout particulièrement au niveau licence et au-delà »,
- et « une trajectoire financière difficilement soutenable ».
Une aide généralisée
En cause : l’aide exceptionnelle pour les employeurs d’apprentis instaurée en juillet 2020 dans le cadre du Plan de relance, afin de protéger les jeunes des conséquences économiques de la crise sanitaire. À l’époque, les entreprises inquiètes des effets de la crise sur leur activité prédisaient une rentrée de l’apprentissage catastrophique. C’est pour éviter que des apprentis se retrouvent sans employeur et que l’essor de cette filière marque le pas que cette aide a été créée et reconduite trois fois. Elle s’élève actuellement à 6 000€ par contrat quel que soit le niveau du diplôme préparé, l’âge de l’apprenti et la taille de l’entreprise, supprimant au passage les différents seuils existants précédemment.
Les effets sur l’emploi de cette aide sont indéniables puisque entre fin 2018 et fin 2022, le nombre d’entrées en apprentissage a été multiplié par 2,6 passants de 321 000 à 837 000 nouveaux contrats. Mais ce choix a mis entre parenthèses des priorités originelles de la réforme de 2018, notamment le développement de l’apprentissage pour les diplômes de niveau Bac ou en deçà, et dans les PME de moins de 250 salariés.
Libéralisation du système de financement de l’apprentissage
Le niveau inédit de cette aide aux entreprises s’ajoute à la libéralisation du système de financement de l’apprentissage instaurée par la réforme. Désormais, les entreprises et les organismes de formation peuvent créer des CFA, sans contrainte administrative et dans les mêmes conditions qu’un organisme de formation classique. « Cette libéralisation du système est indissociable de la levée de toute contrainte financière publique », indique Bertrand Martinot. « L’une des principales raisons du succès quantitatif de la réforme a été en effet la levée de tous les obstacles financiers, la loi exigeant que tout apprenti obtenant une inscription en CFA et un contrat de travail déclenche automatiquement un paiement de la part de l’Opco dont relève son employeur. »
Au total, l’impact de la réforme sur les dépenses publiques est considérable puisque les dépenses consacrées à l’apprentissage sont passées de 4,3 Md€ en 2017 à 10,6 Md€ en 2021. Cette explosion des dépenses ne s’explique pourtant pas uniquement par un effet volume puisque « le coût par apprenti s’est également envolé, passant d’environ 10 023€ en 2017 à 12 684€ en 2021, soit une hausse de +26 %, essentiellement en raison de la hausse de l’aide à l’embauche ».
Responsabiliser les branches professionnelles
« Si la réforme de 2018 est un succès quantitatif, elle n’a pourtant pas eu les effets escomptés sur plusieurs points structurants », selon Bertrand Martinot :
- « L’évolution des effectifs de jeunes préparant un CAP ou un Bac pro par la voie scolaire n’a pas connu d’infléchissement notable post-réforme : on constate une absence de bascule des élèves du lycée professionnel vers l’apprentissage, malgré un taux d’insertion dans l’emploi bien supérieur par la voie de l’apprentissage ;
- Une faible implication des branches professionnelles dans le dispositif, alors même que la réforme leur redonnait une responsabilité essentielle en la matière (elles doivent notamment émettre des avis sur les niveaux des coûts contrat) ;
- Les taux de rupture des contrats dans les premiers niveaux de qualification restent très élevés ;
- L’adéquation des diplômes professionnels de l’Éducation nationale à la réalité des besoins du marché du travail reste souvent perfectible. »
L’un des axes d’amélioration pourrait consister à tendre vers une plus grande responsabilité des branches et des entreprises.
Réformer le mode de calcul des coûts contrats et créer une contribution conventionnelle
Cette réforme pourrait passer, selon l’auteur de la note, par « une révision du mode de calcul des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage (NPEC) » en prenant en compte des critères plus qualitatifs. Les branches pourraient ainsi intégrer dans leurs propositions, des critères permettant de moduler les NPEC en fonction des résultats obtenus par chaque CFA (prise en compte d’entrées d’apprentis en situation de handicap, taux d’insertion en emploi, taux de ruptures définitives, proportion d’apprentis de niveau Bac qui poursuivent leurs études dans l’enseignement supérieur…).
La solution pourrait aussi résider dans la création de contributions conventionnelles complémentaires à la taxe d’apprentissage à la main des branches afin de leur donner les moyens de mener de véritables politiques de l’apprentissage. Une telle contribution existe déjà de manière réglementaire dans le domaine du bâtiment (contribution au CCCA-BTP en charge des politiques d’animation et de financement des politiques de formation continue et d’apprentissage dans le BTP).
« Concrètement, France compétences ne financerait plus qu’un socle qui ne dépendrait que de très peu de paramètres. Ce socle serait financé, comme aujourd’hui par la taxe d’apprentissage et une dotation budgétaire à France compétences. Au-delà, les compléments seraient apportés par les branches via une contribution conventionnelle. Lorsque le NPEC fixé par la branche ne suffirait pas à couvrir les frais pédagogiques, les entreprises pourraient être mises à contribution via un reste à charge plus élevé qu’aujourd’hui. »