CPF : le co-investissement formation, alternative au reste à charge
Par Valerie Grasset-Morel | Le | Dispositifs
Le débat sur le reste à charge du salarié lors de l’utilisation de son CPF est relancé depuis les déclarations de Bruno Le Maire qui souhaite le porter à 30 %. Imposer un tel niveau de reste à charge risque de pénaliser les catégories socio-professionnelles qui ne pourraient pas faire face à une contrainte financière importante. Cette mesure risque aussi d’entraver les projets de reconversion des actifs à l’heure où l’on souhaite les encourager. Le co-investissement formation, encore très peu développé, apparaît comme une alternative au reste à charge.
L’annonce par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, d’un reste à charge du CPF (Compte personnel de formation) de 30 %, sur l’antenne de France culture le 9 mai 2023 a relancé le débat ouvert lors des discussions sur le projet de loi de finances 2023. C’est un amendement gouvernemental au PLF qui a instauré ce reste à charge du salarié lors de l’utilisation de son CPF. Depuis l’adoption de la loi, tout le monde attend la publication du décret qui doit préciser les contours de ce dispositif.
Le nouvel article L6323-7 du Code du Travail précise d’ores et déjà que « la participation peut être proportionnelle au coût de la formation, dans la limite d’un plafond, ou fixée à une somme forfaitaire », et que ne sont pas concernés les demandeurs d’emploi et les titulaires de compte lorsque la formation fait l’objet d’un abondement de l’employeur.
Même si la ministre en charge de la formation professionnelle, Carole Grandjean a tenu à rassurer le milieu de la formation en déclarant que rien n’était arbitré et que la question du reste à charge sera abordée avec les partenaires sociaux « dans le cadre de l’agenda social à venir », des protestations se font entendre. Le nouveau président de la fédération Les Acteurs de la Compétence, Christopher Sullivan exprime ainsi « sa profonde inquiétude » sur l’impact qu’aurait « sur la compétitivité de notre économie et pour le plein emploi » un reste à charge élevé pour les actifs titulaires du CPF.
Un non-sens pour les CSP les plus fragilisées
Pour lui, « le CPF est un moyen de lutter contre le chômage et de donner aux actifs les compétences nécessaires à l’évolution des métiers. Exiger une contribution financière de 30 % sur leur droit à la formation professionnelle, notamment pour les catégories socioprofessionnelles les plus fragilisées, est un non-sens qui met en danger la compétitivité de notre économie et l’accompagnement des trajectoires professionnelles ». Même tonalité du côté de l’IPP (Institut des politiques publiques) : dans une note de février dernier, il indique qu'« imposer un reste à charge risque de limiter l’accès à la formation des personnes qui en auraient le plus bénéficié ».
Ce reste à charge est une mesure qui « va principalement frapper les salariés employés et tout particulièrement ceux qui souhaiteraient s’engager dans un parcours que l’employeur ne partage pas, et qu’il n’a pas vocation à partager », selon Jean-Pierre Willems, consultant, spécialiste du droit de la formation professionnelle. À l’heure où l’on souhaite favoriser les reconversions, « difficile de faire plus contreproductif », dit-il.
Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Le jeu en vaut-il seulement la chandelle sur le plan financier ? La régulation financière du CPF est en effet à l’origine du reste à charge comme d’autres dispositions prises par l’État à la suite de l’emballement de l’utilisation du CPF en 2021 et 2022 : lutte contre la fraude, conditions de connexion au site de la Caisse des Dépôts, régulation de l’offre par la diminution de l’offre certifiante ou la révision des conditions d’inscription pour les actions non certifiantes (formations à la création d’entreprise, bilan de compétences…).
Par effet cumulé, ces différentes mesures ont conduit à une baisse de l’ordre de 50 % des demandes d’utilisation du CPF depuis octobre 2022.
Selon Jean-Pierre Willems, « si l’on projette ce chiffre sur 2023, les dépenses concernant les stagiaires seraient de l’ordre de 850 M€ (contre 1,7 Md€ en 2022). Sur ces 850 M€, l’économie pour un reste à charge de 30 % serait donc de l’ordre de 255 M€ ». Au vu de ces chiffres, « on peut constater que la régulation par l’offre est à la fois plus efficace et plus rapide à mettre en œuvre que la régulation par la demande. Outre qu’elle porte un message moins négatif pour les utilisateurs ».
C’est pour mesurer objectivement tous les effets d’un reste à charge que l’IPP recommande la réalisation d’une étude qui porterait notamment sur l’effet redistributif de cette réforme.
Encourager le co-investissement
Plutôt que d’imposer un reste à charge aux salariés, la fédération patronale « Les Acteurs de la Compétences » préconise de « favoriser les mécanismes d’abondement prévus par la loi de 2018, tels que le co-investissement employeur/salarié et les abondements des Régions notamment ». Pour le moment, les mécanismes de cofinancement sont faiblement utilisés : moins de 10 000 salariés ont obtenu un financement de leur employeur en 2022 pour abonder leur CPF.
Les raisons du faible nombre de co-investissements sont multiples et diverses, selon Jean-Pierre Willems : « La demande de CPF peut être formulée par un salarié qui engage un projet de formation en vue de sa reconversion. Il peut aussi s’agir d’un bilan de compétences pour définir un projet qui n’a pas vocation à être partagé par l’employeur. L’entreprise elle-même peut considérer que le CPF est un outil strictement personnel sur lequel elle n’a pas à intervenir. »
Le faible co-investissement peut également être le résultat de difficultés purement techniques :
- Le site moncompteformation.gouv.fr reste d’abord conçu pour l’utilisateur individuel, les versements « entreprise » doivent intervenir en amont de la formation et sont laissés ensuite à la main du salarié.
- La TVA n’est toujours pas récupérable par l’entreprise si elle finance la formation via le site, etc.
« Au final, le système n’est pas très incitatif pour impliquer les entreprises, d’autant que la loi permettant à une entreprise signataire d’un accord de récupérer les droits des salariés pour mettre en œuvre les formations, n’est toujours pas mise en œuvre, plus de quatre ans après son adoption. »
Si les principes qui régissent l’instauration d’un reste à charge sont défendables (responsabilisation des salariés, régulation financière du CPF), les avantages réels de ce dispositif restent à démontrer.