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L’aide à l’embauche d’apprentis bientôt recentrée sur les moins qualifiés ?

Par Valerie Grasset-Morel | Le | Dispositifs

La suppression de l’aide unique à l’embauche d’un apprenti (6 000€) pour les entreprises de plus de 250 salariés lorsque l’apprenti prépare un diplôme de niveau supérieur à bac +2, à compter du 01/07/2024, est proposée par voie d’amendement au projet de loi de finances 2024 en cours d’examen à l’Assemblée nationale. En jeu : une économie de l’ordre de 725 M€.

L’aide à l’embauche d’apprentis bientôt recentrée sur les moins qualifiés ?
L’aide à l’embauche d’apprentis bientôt recentrée sur les moins qualifiés ?

« Nous devons travailler sur une forme d’écrêtement du financement de l’apprentissage », déclarait Jean-René Cazeneuve, député Renaissance, rapporteur général du Budget, le 8 octobre 2023 dans Les Echos, précisant : « Il s’agit de moduler l’effort public quand cela concerne les grandes entreprises ou pour la formation de bac+5. » C’est chose faite dans un amendement au PLF 2024 qu’il a déposé le 25 octobre avec d’autres députés du groupe Renaissance (dont Marc Ferracci) et du groupe Démocrate.

Cet amendement prévoit la suppression de l’aide unique à l’embauche d’un apprenti pour les entreprises de plus de 250 salariés, lorsque l’apprenti prépare un diplôme de niveau supérieur à bac +2. Si elle est adoptée en commission des finances de l’Assemblée nationale puis en séance publique, cette disposition entrerait en vigueur à compter du 1er juillet 2024.

L’amendement propose aussi de décaler la date de premier versement de l’aide, qui est due mensuellement, à l’issue de la période d’essai du contrat d’apprentissage, qui est actuellement de 45 jours.

L’essor de l’apprentissage porté par le supérieur

Le développement de l’apprentissage à compter de 2020 a été largement porté par les étudiants des niveaux supérieurs. Selon une note de la DEPP (ministère de l’Éducation nationale) publiée en juillet 2023, en un an, les effectifs en apprentissage dans l’enseignement supérieur ont augmenté de 20,1 % au 31 décembre 2022, après +48,3 % l’année précédente. Dans l’enseignement secondaire, la hausse constatée était sensiblement moindre, et s’établissait à +6,5 % au fin 2022, après +15,7 % en 2021.

« Le coût total de la prime exceptionnelle versée aux apprentis du supérieur atteint 1,6 Md€ , soit une fois et demie le budget total alloué chaque année aux universités », selon l’exposé des motifs de l’amendement.

La dépense totale de l’apprentissage a augmenté de 300 %

Les députés ajoutent : « La dépense publique totale en faveur de l’apprentissage a augmenté de 300 % entre 2018 et 2022, passant de 5,5 Md€ à près de 17 Md€. Or, sur ce volume de dépenses, en 2022, près de 6 Md€ ne sont pas financés, et viennent creuser alternativement ou cumulativement le déficit de l’État, celui de France compétences ou, plus récemment, celui de l’Unedic.

Ce déficit pèsera in fine sur les contribuables bénéficiaires de l’aide unique, à savoir les entreprises, ou sur les CFA les plus en difficulté à travers des baisses successives des NPEC (niveaux de prise en charge) des contrats d’apprentissage. »

Dès le mois de juin dernier, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, déclarait qu’il était « possible de réduire le prix des formations payées par l’État pour les apprentis » puisque l’apprentissage était désormais « un succès ». Avec le reste à charge pour le CPF, il citait la prime versée aux employeurs d’apprentis comme une source d’économie sur « les 10 Md€ d’économies identifiées afin d’accélérer le désendettement de la France ». 

« Refaire un pas vers les principes qui avaient guidé la réforme de 2018 »

« Aussi pertinent qu’il soit, l’objectif d’atteinte d’un million d’entrées en apprentissage d’ici 2027 ne doit pas se faire au détriment d’un ciblage minimal des aides à l’apprentissage. À défaut, c’est l’ensemble du système que l’on fragilise », soulignent les auteurs de l’amendement.

Ils proposent de refaire un pas vers les principes qui avaient guidé l’élaboration et le vote de la réforme de 2018, en prévoyant la suppression de l’aide unique à l’embauche d’un apprenti pour les entreprises de plus de 250 salariés lorsque l’apprenti prépare un diplôme de niveau supérieur à bac +2.

Selon les chiffres transmis par la Dares, en 2022, 120 897 contrats avaient été conclus entre une entreprise de + de 250 salariés et un apprenti préparant une formation de niveau bac+3 ou plus. « Le présent amendement générerait donc une économie de l’ordre de 725 M€ sur le budget de la mission Travail et Emploi », selon les calculs des députés.

Les opposants à cette modulation

Plusieurs représentants des  CFA et écoles qui forment des apprentis dans l’enseignement supérieur sont vent debout contre cette annonce. Dans une lettre ouverte au président de la République, la fédération Les Acteurs de la Compétences invoque le principe « d’égalité pour tous » pour défendre une prime unique, quel que soit le niveau de qualification des apprentis.

« Recentrer l’aide à l’embauche d’apprentis sur les premiers niveaux de qualifications serait faire marche arrière. Cela consisterait à dire, comme avant la loi du 5 septembre 2018, que l’apprentissage est destiné aux 'premiers niveaux'. L’apprentissage n’est plus une voie subie, mais choisie à tous les niveaux », Yves Hinnekint, président de l’association Walt et membre des Acteurs de la Compétences, président de Talis Business Group.

Le texte de l’amendement n° II-CF2907

I. À l’article L6243-1 du Code du Travail, le premier alinéa est remplacé par les quatre alinéas suivants :

« Les entreprises bénéficient d’une aide forfaitaire de l’État pour la conclusion d’un contrat d’apprentissage : 

1° visant à la préparation d’un diplôme ou d’un titre à finalité professionnelle équivalant au plus au niveau 7 du cadre national des certifications professionnelles pour les contrats conclus par une entreprise de moins de 250 salariés ;

 visant à la préparation d’un diplôme ou d’un titre à finalité professionnelle équivalant au plus au niveau 5 du cadre national des certifications professionnelles pour les contrats conclus par une entreprise de 250 salariés et plus.

Le versement de tout ou partie de l’aide ne peut intervenir avant l’expiration de la période d’essai du contrat d’apprentissage. »

II. Le I. entre en vigueur au 01/07/2024.