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Prévention santé : encore du chemin à parcourir par les employeurs malgré les initiatives

Par Valerie Grasset-Morel | Le | Fidélisation

Marque employeur, attractivité et rétention des talents, bien-être au travail, performance individuelle et collective… Pour toutes ces raisons, les entreprises s’emparent de la QVCT (qualité de vie et des conditions de travail). Les bonnes pratiques en la matière ne masquent pas cependant « le retard pris par les entreprises françaises en matière de prévention santé » selon le Groupe Technologia.

Prévention santé : encore du chemin à parcourir par les employeurs malgré les initiatives
Prévention santé : encore du chemin à parcourir par les employeurs malgré les initiatives

Depuis 2020, on ne parle plus de QVT (qualité de vie au travail) mais de QVCT, laquelle définit « les conditions dans lesquelles les salariés exercent leur travail, et leur capacité à s’exprimer et à agir sur le contenu de celui-ci ».

Les dirigeants sont, eux, invités à améliorer collectivement le travail dans le cadre de démarches de QVCT. C’est ce qu’a fait l’entreprise Bridor. « Les sites sont actifs 24 heures sur 24, 365 jours par an et ils pratiquent le travail en 3x8, c’est pour cela que nous avons développé un important chantier sur la QVCT et mis en place différents dispositifs pour créer une vraie culture de la sécurité afin d’améliorer les conditions de travail », relate Grégory Bernus, DRH France de Bridor. L’entreprise a notamment renouvelé en avril dernier son accord sur la QVCT qui comporte désormais un volet sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Un service sécurité sur chaque site

Chacun des deux sites de Bridor en Bretagne est doté d’un service sécurité composé d’un responsable de la sécurité et d’une infirmière. « L’ensemble du personnel est formé à la sécurité. Tout nouvel arrivant suit la formation “Gestes qui sauvent” afin d’être sensibilisé sur la conduite à tenir en cas d’accident pour donner l’alerte et mettre en sécurité les personnes », précise le DRH. Les managers, les membres de la CSSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail) et les membres du comité de direction de Bridor ont été formés au « dialogue sécurité » qui consiste à se déplacer sur les lignes de production afin de s’assurer que les équipes travaillent en toute sécurité.

Afin de limiter les TMS (troubles musculo-squelettiques) les collaborateurs présents dans les usines doivent effectuer des actions d’échauffement avant le démarrage de la journée.

Des exosquelettes ont également été mis en place. « À l’origine, il s’agissait de maintenir dans l’emploi des collaborateurs qui avaient eu un accident en dehors de l’entreprise, puis nous avons utilisé les exosquelettes pour limiter le port de charges dans la durée. Nous avons également des capteurs d’activité musculaire qui permettent d’obtenir une évaluation objective de l’efficacité des exosquelettes sur les utilisateurs », indique Grégory Bernus.

Flexibilité des horaires et flex office

La flexibilité des horaires grâce au télétravail notamment, la conciliation vie professionnelle et vie personnelle, le flex office et des locaux agréables améliorent aussi le bien-être au travail. Au siège de Kellogg France, par exemple, les collaborateurs passent chaque année à l’horaire d’été depuis quatre ans, à partir du 1er juin jusqu’à la fin septembre. « Ils peuvent quitter leur poste à partir de 15 heures le vendredi s’ils ont atteint leurs objectifs de la semaine. Cet aménagement des horaires, appelé “Summer Hours”, leur permet de mieux profiter de la période estivale, et 91 % des salariés plébiscitent ce dispositif », explique Camille Felician, HR Business Partner Kellogg.

Les « Summer Hours » s’inscrivent dans la culture d’entreprise Kellogg sur la flexibilité. Celle-ci s’est encore accrue avec le déménagement de Kellogg France de Noisy-le-Grand vers Boulogne-Billancourt au début de l’année 2023. Dans le bâtiment Metal 57 qui abritait d’anciennes usines Renault, les collaborateurs du nouveau siège de Kellogg France, peuvent, s’ils le souhaitent, travailler dans la rue intérieure qui propose plusieurs lieux de restauration, comme sur le roof top. « Nous avons adopté le flex office. Chaque équipe a une zone définie mais elles peuvent aussi se mélanger. Nous avons des espaces de collaboration et des endroits où il est possible de s’isoler », détaille Camille Felician. Dans le contexte actuel, dit-elle, « l’attraction et la fidélisation des talents sont primordiales, et le bien-être au travail est un facteur de rétention des talents ».

Faire revenir les salariés sur site

C’est le même objectif qu’a poursuivi la MGEN, la mutuelle des agents du service public en procédant elle aussi au déménagement de son siège parisien. « Nous avons consacré à sa modernisation le budget de 78 M€ afin d’en faire un véritable lieu de vie dans lequel les 1 000 collaborateurs ont plaisir à venir travailler et à s’y retrouver depuis septembre 2022 », déclare le DRH, Frédéric Pauthier.

Après la période Covid, l’objectif est aussi de faire revenir les collaborateurs sur site. Tout est fait pour les séduire : quatre sites de restauration, un service de conciergerie, une salle de sport avec un coach, un service de livraison de fruits et légumes frais, des évènements festifs… Les premiers effets de cette « politique RH centrée sur le collaborateur » sont observés au niveau du recrutement, selon le DRH : « Désormais, ce sont davantage les candidats qui viennent à notre rencontre pour nous rejoindre. »

La France, en queue de peloton sur la sinistralité

Ces bonnes pratiques pour favoriser la qualité de vie au travail ne masquent pas cependant le retard pris par les entreprises françaises en matière de prévention santé, selon Jean-Claude Delgènes, président fondateur du Groupe Technologia, qui s’exprimait le 26 mai dernier lors d’un webinaire de Miroir social : « Pénibilité, comment arrêter d’entretenir les inégalités ? » La France se placerait « en queue de peloton des pays européens sur la sinistralité, au niveau de l’Albanie ». 

D’après le président de Technologia, « la plupart des dirigeants français n’ont pas la problématique de la prévention santé dans le cockpit de leurs décisions ». Pourtant, c’est « une spirale vertueuse » qu’ils pourraient mettre en place : « moins de maladies professionnelles, moins d’accidents du travail, moins d’absentéisme, etc., ce qui a des effets sur les comptes de l’entreprise ».

 « Cela témoigne d’un relâchement de la prévention ; si on ne s’en préoccupe pas, elle ne s’améliorera pas d’elle-même », dit-il. En 2019, la France enregistrait 655 000 AT (accidents du travail), près de 55 000 maladies professionnelles et un nombre de morts important : 190 décès liés à des AT, 288 morts pour maladies professionnelles, 285 morts pour accidents de trajet. À ces chiffres il faudrait ajouter tous ceux qui ne sont pas dans le spectre des AT-MP comme les maladies cardio-vasculaires en forte croissance en raison de situations de stress chronique. Pour le président du Groupe Technologia, il est « essentiel de prendre à bras-le-corps cette réalité et de mettre les employeurs devant leurs responsabilités ».

Le contrôle social

Le CSE a la possibilité d’agir dans ce sens pour évaluer la pénibilité avec le concours du médecin du travail, de l’inspection du travail, de la Carsat (caisse d’assurance retraite et de la santé au travail) et d’un expert, par exemple. Les syndicats de l’entreprise peuvent aussi exercer leur contrôle social sur cette question, puisque la QVCT fait partie des thématiques de négociation annuelle obligatoire. 

Le préambule de l’ANI du 9 décembre 2020 sur la santé au travail indique que la QVCT est « un investissement aux effets durables, qui contribue à la performance individuelle et collective ». Si toutes les entreprises n’ont pas acté le changement d’acronyme, l’enjeu reste néanmoins de taille.