Violences domestiques : « Alléger la charge mentale des collaborateurs » (L. Maalel, DRH Kellanova)
Par Valerie Grasset-Morel | Le | Fidélisation
Une femme sur trois dans le monde est victime de violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie, la plupart du temps par un partenaire intime, selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Et les effets de ces violences domestiques sur la victime ne s’arrêtent pas aux portes de l’entreprise. « Elles ont souvent de graves répercussions sur la confiance, l’estime de soi et les capacités professionnelles d’un salarié, l’empêchant de s’épanouir, d’être concentré et pleinement opérationnel », relève Lilia Maalel, DRH de Kellanova France (ex-Kellogg).
Depuis septembre 2023, la filiale française de l’entreprise américaine de snacking (180 salariés) déploie une politique de soutien des salariés victimes de violences intrafamiliales : aménagement des horaires, jours de congés supplémentaires, aide financière, assistance téléphonique. Le point avec Lilia Maalel.
D’où est venue l’idée de mettre en œuvre une politique de soutien des salariés qui subissent des violences domestiques ?
Pour que les salariés soient performants, nous devons leur offrir un environnement de travail qui favorise le bien-être, un équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle. C’est l’alliance entre la performance et le plaisir.
Dans le cadre des groupes de travail sur la « santé totale » que nous avons mis en place (c’est un thème clé de notre stratégie équité, diversité et inclusion), il nous est apparu essentiel d’alléger la charge mentale des collaborateurs en leur offrant un environnement de travail sûr et sécurisé.
Tout le monde peut en être victime
La question des violences domestiques (physiques, émotionnelles, économiques) est arrivée naturellement dans les discussions car elles augmentent significativement d’année en année. Tout le monde peut en être victime, quels que soient l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle ou le milieu social. Ces violences ont souvent de graves répercussions sur la confiance, l’estime de soi et les capacités professionnelles d’un salarié, l’empêchant de s’épanouir, d’être concentré et pleinement opérationnel. Nous estimons que cette politique est nécessaire car nos collaborateurs sont le reflet de la société. Chez Kellanova, la lutte contre les violences domestiques est une priorité en matière de protection du travail et d’égalité financière.
Comment s’est mis en place ce plan ?
Nous avons d’abord échangé au niveau européen et transnational sur ce sujet. Chaque filiale a adapté ce plan en fonction de la législation de son pays. Ensuite, les équipes RH se sont mises en relation pour passer à la phase opérationnelle de cette nouvelle politique. En France, nous avons également consulté les IRP avant que la direction ne prenne la décision de lancer ce plan le 19/09/2023.
Au niveau européen, 4 600 collaborateurs de Kellanova sont concernés par cette politique.
Le plan vise à alléger la charge mentale des victimes en leur donnant du temps. Pouvez-vous préciser ?
Miser sur la flexibilité du travail
Pour lutter contre ces violences, il est important d’engager des actions rapides et adaptées au besoin des victimes. Dans ce cadre-là, pour alléger leur charge mentale et leur permettre de faire les démarches nécessaires, nous avons misé sur la flexibilité du travail qui est déjà promue par le Groupe : le télétravail, des arrivées et départs décalés, la possibilité de passer des appels depuis leur lieu de travail et de s’absenter au cours de la journée pour se rendre à des rendez-vous.
Ces personnes peuvent bien sûr faire appel au service téléphonique d’assistance et de conseil gratuit et entièrement confidentiel (Telus Health) qui est mis à disposition de l’ensemble des collaborateurs par Kellanova, 24h sur 24h, 7 jours sur 7. Ce service permet de consulter des avocats et autres juristes, des assistantes sociales.
D’autre part, nous accordons au salarié victime 10 jours de congés payés supplémentaires. Le but est de lui permettre d’effectuer les démarches administratives nécessaires (hôpital, avocat, logement, garde des enfants…). Ce congé est fractionnable.
Prévoyez-vous un accompagnement financier de la victime ?
Nous accordons à tout salarié qui révèle sa situation de victime une aide de 150 €. Cette somme doit permettre à la personne concernée de mettre en place les mesures d’urgence pour garantir sa sécurité physique et financière. Par exemple, elle peut utiliser cette somme ouvrir immédiatement un nouveau compte bancaire.
Avez-vous mis en place des actions de sensibilisation du personnel à ce problème ?
Tout au long de l’année, nous organisons de nombreux évènements de sensibilisation dans le cadre de notre stratégie diversité/inclusion et dans le cadre des risques psycho-sociaux. Nous expliquons que nous sommes tous responsables les uns des autres. Si un collaborateur - qu’il soit manager, collègue ou N-1 d’une personne dans une équipe - note un changement de comportement significatif chez l’un de ses collègues, nous l’encourageons à venir nous exprimer ses craintes. Nous sensibilisons les collaborateurs sur des signaux qui doivent les alerter, déclencher une discussion et orienter les victimes vers les bonnes personnes. Nous avons un groupe de personnes disponibles (membres du CSE, médecin du travail, les RH, les managers…).
Comment faites-vous pour concilier un tel plan et le respect de la vie privée de vos collaborateurs ?
L’entreprise ne peut pas ignorer ce que vit un salarié confronté à une telle situation
Je prône vraiment l’approche holistique qui consiste à prendre en compte la personne dans sa globalité. On ne peut pas avoir des équipes performantes si les personnes ne vont pas bien. Il y a quelques années, on disait au salarié : « Quand tu arrives au travail, tu laisses tes problèmes personnels à l’extérieur. » C’est impossible à faire en réalité, surtout lorsqu’une personne subit des violences domestiques. Les interactions avec le travail, l’estime de soi, la concentration sont trop fortes. L’entreprise ne peut pas ignorer ce que vit un salarié confronté à une telle situation. Notre rôle est de permettre aux collaborateurs d’être épanouis et efficaces dans leur travail.
Sur les violences domestiques, il y a eu de nombreux débats au niveau international sur le fait qu’il s’agit d’une question privée. Par conséquent, rien de concret n’a été proposé pendant longtemps pour aider les collaborateurs concernés.
Face à l’ampleur du phénomène, une prise de conscience a eu lieu. Si l’entreprise n’agit pas, c’est de la non-assistance à personne en danger.
Au sein des réseaux de ressources humaines auxquels j’appartiens, je m’aperçois que nous sommes en avance sur cette question chez Kellanova. En effet, je n’ai pas encore vu dans d’autres entreprises de plans d’accompagnement des salariés victimes de violences domestiques aussi complets que le nôtre.