Japon : la Cour suprême statue contre la discrimination des salariés LGBT au travail
Par Agnès Redon | Le | International
La Cour suprême du Japon a statué le 11 juillet 2023 contre un ministère qui avait interdit à une fonctionnaire transgenre d’utiliser les toilettes pour femmes.
Les juges ont estimé que cette interdiction « manquait cruellement de validité ». C’est la première décision de la plus haute juridiction japonaise concernant les droits des personnes LGBT sur le lieu de travail.
Par ailleurs, le gouvernement japonais a adopté le 16 juin 2023 une proposition de loi controversée sur la « promotion de la compréhension des minorités LGBT » qui prévoit qu’aucune « discrimination déraisonnable » ne soit tolérée mais sans aucune sanction en cas de discrimination.
Cette loi est critiquée par l’opposition et les associations de défense des personnes LGBT, qui estiment qu’une discrimination ne peut pas être qualifiée de « raisonnable » ou « déraisonnable ».
Le contexte de la plainte
La plaignante est une fonctionnaire du ministère japonais de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI). De sexe masculin à la naissance, l’employée a annoncé en 2009 à son manager qu’elle souhaitait s’identifier comme une femme au travail. La loi japonaise exige que les personnes transgenres subissent une opération si elles veulent obtenir la reconnaissance légale de leur identité. La plaignante n’a pas changé de sexe, mais vit en tant que femme et a demandé l’autorisation d’utiliser les toilettes des femmes. Le ministère a organisé une réunion d’information durant laquelle il lui été demandé de s’abstenir d’utiliser les toilettes pour femmes à son étage et de n’utiliser que celles situées à deux étages de son bureau.
La plaignante a fait valoir que le fait d’être exclue des toilettes féminines les plus proches « portait profondément atteinte » à sa dignité. En 2015, elle a porté plainte au tribunal de Tokyo.
En 2019, le tribunal de Tokyo a jugé que la décision du METI était illégale, estimant que le traitement du ministère « restreignait des droits légaux importants » et a condamné le gouvernement à des dommages-intérêts de 1,3 million de yens (8 200 euros).
Le jugement a été annulé en 2021 en appel et a donné raison à l’Etat, reconnaissant qu’il lui incombait de prendre en compte « l’embarras et l’anxiété » ressentis par ses collègues lorsque cette femme utilisait les toilettes pour femmes.
D’après le quotidien Japan Times, la juge de la Cour suprême Yukihiko Imasaki a estimé que cette décision consistant à restreindre l’utilisation des toilettes de la plaignante accordait une « considération excessive » à ses collègues et que cela relevait de « l’abus de pouvoir ».
Après la décision de la Cour suprême du 11 juillet 2023 en faveur de la plaignante, le porte-parole du gouvernement, Hirokazu Matsuno a déclaré que le gouvernement « prendrait les mesures appropriées après avoir étudié le verdict ».
Des mesures de lutte contre les discriminations dans les entreprises au Japon
Si certaines entreprises mettent en place des mesures adaptées aux LGBT, comme par exemple l’attribution de la prime traditionnellement attribuée aux couples mariés, en 2019, une enquête conjointe menée par l’Université de Kanazawa et Lixil, une société d’équipement domestique, environ 42 % des répondants transgenres ont déclaré qu’ils n’utilisaient pas les toilettes correspondant à leur identité de genre sur leur lieu de travail.
En 2016, un indice LGBT destiné à évaluer l’action des entreprises nippones en faveur des minorités sexuelles a été créé. Cet indice, officiellement baptisé Pride, est mesuré par l’organisme work with Pride (wwP).
A la création de l’indice, la responsable de la diversité chez IBM Japan, Megumi Umeda, interviewée par l’hebdomadaire Diamond, avait expliqué qu’« il faudra au moins 10 à 15 ans pour que les mesures pour les LGBT se généralisent. C’est comme la place des femmes dans la société et dans l’entreprise. Il faut se battre jusqu’au bout, jusqu’à ce que des personnes LGBT accèdent à des postes d’encadrement, sans discrimination ».
En effet, dans son dernier rapport sur la protection légale de la communauté LGBT, l’OCDE a classé le Japon à la 34e place sur 35 nations n’ayant pris aucune disposition pour interdire les discriminations à l’emploi basées sur les orientations sexuelles.