« Nous avons supprimé la période d’essai » (Marc-Henri Bernard, DRH Groupe Rémy Cointreau)
Par Sylvie Aghabachian | Le | Management
La transformation de l’organisation du travail, les négociations sur le partage de la valeur, la prise en compte des bouleversements climatiques et la poursuite des stratégies d’inclusion font partie des priorités des DRH. Rencontre avec Marc-Henri Bernard, DRH au sein du Groupe Rémy Cointreau.
Où en êtes-vous de votre expérimentation sur la période d’essai ?
Ce n’est plus un test, c’est devenu la règle. Nous avons mis en place une expérimentation sur la période d’essai en avril 2022. Nous nous sommes rendu compte que le dispositif fonctionnait très bien. Dans 98 % des cas, nous avons eu aucun problème : les personnes recrutées sont restées chez nous et ont donné toute satisfaction. Nous avons eu quelques cas particuliers mais qui se règlent toujours à l’amiable. Comme le collaborateur n’a pas beaucoup d’ancienneté, c’est assez facile de trouver un mode de séparation. Nous avons donc officialisé l’absence de période d’essai quelle que soit la nature du contrat pour tous les collaborateurs.
Est-ce un dispositif destiné à lutter contre la guerre des talents ?
Pas du tout. J’avais observé le lancement en 2021 d’une telle opération par le Groupe Saur justement pour des problèmes de recrutement et de rétention. J’avais trouvé l’idée brillante et simple à mettre en œuvre. Avant de lancer l’expérimentation, nous avons fait le bilan des périodes d’essai en remontant sur cinq ans. Les non renouvellements de période d’essai se comptaient sur les doigts de la main. Je suis arrivé à la conclusion que la période d’essai n’apportait pas grand-chose. Sur le papier, elle sécurise l’employeur et le collaborateur. Mais, en pratique, elle n’est pas du tout utilisée. Elle peut générer du stress sur le candidat qui ne sait pas s’il va rester ou pas, ou si sa période d’essai va être renouvelée. Pendant tout ce temps-là, il est-il est un peu en apesanteur, cela lui rend la vie plus difficile s’il veut contracter un prêt, par exemple. Pour l’employeur, la période d’essai génère une charge administrative pour rien.
Un signe de confiance complet aux candidats
Nous nous sommes donc lancés en donnant un signe de confiance complet aux candidats. Nous avions réfléchi à tous les cas de figure et même à celui où un candidat incertain souhaiterait une période d’essai. Si ce cas arrive, nous lui dirons de ne pas venir chez nous. Si la confiance n’est pas réciproque, la relation professionnelle ne part pas du bon pied.
Est-ce un levier en termes d’attractivité ?
C’est un levier pour toutes les entreprises quelles que soient leurs besoins ou leurs difficultés : celles qui connaissent une pénurie de talents mais aussi des entreprises comme les nôtres qui n’ont pas cette problématique mais qui veulent afficher leur culture, leurs valeurs et envoyer un message assez fort aux candidats en disant : « Venez chez nous, nous fonctionnons sur la confiance et ça se matérialise notamment par la suppression de la période d’essai ».
La semaine de 4 jours vous interpelle-t-elle ?
Le télétravail répond déjà à pas mal d’attentes des collaborateurs.
Je regarde ce sujet à la fois avec beaucoup d’attention et de recul. Je ne suis pas convaincu par rapport à la charge de travail ou mentale. J’attends de voir ce que donneront les expérimentations des entreprises en France sur la durée et selon les secteurs. Le télétravail répond déjà à pas mal d’attentes des collaborateurs. On parle beaucoup du télétravail mais assez peu des salariés qui ne peuvent pas télétravailler, comme dans les usines de production. Si demain, la semaine de 4 jours se généralise, je pense que certains salariés seront pénalisés et cela pourra créer un sentiment d’iniquité.
Les négociations sur le partage de la valeur font partie de la feuille de route des DRH. Le groupe Rémy Cointreau a lancé son premier plan d’actionnariat salarié dénommé « My Rémy Cointreau » en 2021. Quel bilan faites-vous ?
Nous avons testé le plan d’actionnariat salarié sur les effectifs français soit 800 personnes avant de déployer l’opération de la même façon à l’international. Nous avons eu 77 % de taux de souscription. Ce succès nous a encouragé pour l’international où nous avons obtenu un bon taux de 50 %. Nous avons prévu de renouveler l’opération en 2024
La prise en compte des bouleversements climatiques fait aussi partie de vos priorités…
Rémy Cointreau n’a pas attendu ces dernières années pour se préoccuper du sujet. Une direction développement durable a été créée en 2004 et le premier bilan carbone date de 2006. Ce sujet est dans l’ADN de l’entreprise et ne répond pas à un effet de mode. Nous sommes une industrie dépendante des terroirs. Le cognac est une appellation d’origine contrôlée et il existe un périmètre dans lequel il est possible de cultiver des vignes. Si le niveau de la mer monte, un jour la Charente sera sous l’eau et il n’y aura plus de raisin et donc plus de cognac. Ce sujet nous préoccupe depuis longtemps et nous travaillons beaucoup avec les viticulteurs qui nous approvisionnent pour combattre le réchauffement climatique et préserver les terroirs.
Comment vous préparez-vous à l’allongement de la durée de la vie active puisque la réforme des retraites est applicable depuis le 1er septembre ?
L’index senior est une bonne idée
La question de l’âge n’a jamais été un sujet. Nous sommes un groupe familial et beaucoup de collaborateurs font une grande partie de leur parcours professionnel chez nous. Nous n’avons pas de difficultés à garder les gens longtemps. Le prolongement de l’âge de la retraite n’est pas un problème pour nous. Nous savons gérer les fins de carrière. Un an avant le départ d’un senior, nous organisons un binôme avec un jeune, alternant par exemple, pour une transmission du savoir-faire.
Mais, il existe aujourd’hui des vides juridiques sur l’emploi des seniors depuis la fin des contrats génération, comme le passage à temps partiel sans avoir une baisse proportionnelle du salaire. Il nous faut réfléchir à ce sujet comme sur celui du recrutement, du maintien dans l’emploi et la formation des seniors. Je trouve aussi que l’index senior est une bonne idée car en matière d’égalité hommes femmes, les progrès ont été significatifs grâce à l’index égalité professionnelle. Cette contrainte peut faire avancer le sujet mais il faut trouver le bon indicateur pour les seniors.
De manière plus générale, quels sont vos enjeux en matière de stratégie d’inclusion ?
Nous avons nommé une personne qui coordonne la diversité et l’inclusion en plus de son activité professionnelle car, nous voulions faire passer le message que ce sujet est l’affaire de tous. Nous avons aussi réalisé une enquête auprès des collaborateurs et nous travaillons actuellement sur des plans d’action selon les zones géographiques. En France, par exemple, je suis en train de travailler sur le handicap pour partager les bonnes pratiques et probablement rédiger une charte avec des engagements.