Salariés aidants : la « génération sandwich » au chevet de l’entreprise
Par Sylvie Aghabachian | Le | Management
La journée nationale des aidants aura lieu le 6 octobre prochain. Avec le vieillissement de la population et l’allongement de la vie active, les entreprises commencent à s’en préoccuper.
Ils commencent à jouer ce rôle de plus en plus jeune, en moyenne autour de 36 ans, nous apprennent Viavoice & l’Ocirp (Observatoire des salariés proches aidants, septembre 2022). Ils sont 11 millions en France, la moitié environ sont des actifs et 56 % des femmes. Ils ont généralement une famille avec parfois des enfants en bas âge. « Une génération sandwich qui se retrouve à avoir des contraintes à la fois professionnelles et familiales, vis-à-vis de leurs enfants et parents », explique Perrine Lantoine, responsable d’études au sein du groupe BPCE, lors de présentation le 28 septembre dernier, d’une nouvelle étude de BPCE L’Observatoire « Être aidant et travailler : quels enjeux ? ».
Selon cette étude, environ 55 % des aidants exercent une activité professionnelle en tant que salariés ou indépendants. « 20 % d’entre eux sont en difficulté, ce qui est déjà un taux important même si la grande majorité ne souhaite pas arrêter de travailler. »
Trois enjeux concernent les aidants actifs : la soutenabilité des horaires, l’intensité du travail et la compatibilité des agendas. « Un aidant doit pouvoir être joignable. On a pas mal de préoccupations administratives avec le milieu médical et puis c’est souvent dur psychologiquement de se consacrer à un travail trop exigeant en parallèle », constate Perrine Lantoine.
Un élément de RSE
Le sujet est encore peu abordé en entreprise. Le Baromètre 2023 du 4ème colloque de l’Observatoire solidaire des salariés-aidants, organisé le 3 octobre par La Mutuelle Générale, indique qu’à peine une entreprise sur dix a pris des dispositions en faveur des salariés-aidants et l’a fait savoir à ses salariés. 27 % des salariés-aidants se sont déclarés auprès de leur employeur (contre 70 % de salariés handicapés) et seuls quatre salariés sur dix savent qu’il existe des dispositions légales spécifiques pour les salariés-aidants. Et plus de 8 salariés sur 10 aimeraient que leur entreprise soit plus active pour aider les salariés-aidants. Pour Benoit Serre, vice-président délégué de l’ANDRH, « les entreprises ont un intérêt à̀ agir et à prendre les devants pour accompagner leurs salariés aidants plutôt que de subir une situation de fait. C’est évidemment un élément de responsabilité sociale mais c’est aussi du pragmatisme car un salarié-aidant, dont les contraintes sont prises en considération, sera nécessairement plus engagé et plus performant. Par ailleurs, vivre une situation d’aidant est bien souvent temporaire même si elle peut être longue. Dans tous les cas, elle fait acquérir des compétences et des aptitudes individuelles qui doivent être reconnues et valorisées quand cela est pertinent pour l’entreprise. »
Valorisation des compétences transverses en entreprise
L’Observatoire solidaire des salariés-aidants, créé en 2020 par La Mutuelle Générale, organise son 4ème colloque sur le sujet le 3 octobre 2023. Cet observatoire a constitué un groupe de travail inter-entreprises composé de directeurs des ressources humaines de secteurs d’activité́ divers : Schneider Electric, le Groupe La Poste, Vinci, Acoss (Urssaf), Centreon, KPMG, Hager Group et La Mutuelle Générale. L’objectif est de lancer une expérimentation sur la valorisation des compétences transverses des aidants en entreprise pour favoriser le retour ou le maintien dans l’emploi, mais aussi la connaissance de soi pour les salariés. Une première version d’un questionnaire d’auto-évaluation des compétences transverses à destination des salariés- aidants réalisé́ anonymement, sera ainsi expérimenté dans les prochains mois auprès des salariés des groupes Schneider Electric, le Groupe La Poste et La Mutuelle Générale. Ce questionnaire peut aussi servir d’outil de dialogue entre le salarié et son employeur : il permet à̀ la fois d’aborder le rôle d’aidant et d’identifier les compétences et aptitudes développées dans le cadre de cette situation. « C’est seulement sur la base d’actions plurielles et collaboratives, plaçant l’aidant et ses besoins au centre, que les personnes salariés-proche aidant pourront trouver à leur rythme l’organisation et les solutions qui respectent leurs envies et celles de leur proche aidé », indique Julie Legoubin, cheffe de projet Diversité et Inclusion chez Schneider Electric.
La revalorisation du congé de proche-aidant
Dans le cadre de la stratégie « Agir pour les aidants 2020-2022 », l’État, en lien avec les associations représentatives des aidants, a engagé les mesures suivantes :
- la création, l’élargissement et la revalorisation du congé de proche-aidant,
- l’augmentation de l’allocation journalière du proche aidant,
- la publication d’un guide à l’attention des entreprises sur les actions en faveur des aidants salariés.
Quelques mesures relatives au congé de proche aidant permettent de le rendre plus avantageux et plus flexible. Le congé de proche aidant est indemnisé pour les salariés, les travailleurs indépendants, les fonctionnaires et les chômeurs indemnisés à hauteur de 62,44 € nets par jour (au 1er janvier 2023). Il n’est plus nécessaire d’attendre d’avoir 1 an d’ancienneté pour pouvoir en bénéficier. Ces périodes de congé ne comptent plus dans le calcul des droits au chômage pour éviter une baisse des allocations. Le congé de proche aidant indemnisé est pris en compte pour les droits à la retraite.
Des accords d’entreprises pour les aidants
En dehors des dispositions législatives, certaines grandes entreprises ont signé des accords en faveur de leurs salariés aidants. En décembre 2021, Danone, par exemple, acte la reconnaissance de la qualité de travailleur aidant dans son accord Diversité inclusive (égalité professionnelle, handicap et inclusion). « Des mesures seront mises en place pour soutenir cette charge financière et mentale. Une reconnaissance de la qualité de travailleur aidant (RQTA) conférera un statut particulier au sein de l’entreprise : le salarié devra échanger sur sa situation avec le RH et la médecine du travail pour bénéficier de ce statut et des mesures mises en place », indique l’accord. Pour les salariés en statut RQTA dont la fonction est éligible au télétravail, une troisième adresse de télétravail sera accordée afin de permettre au salarié de travailler depuis le domicile ou le lieu de vie de la personne aidée », précise l’accord.
En juillet dernier, un accord RSG en faveur des salariés aidants, signé par la direction d’AXA France et trois organisations syndicales représentatives (CFDT, UNSA, CFE-CGC) prévoit dix demi-journées d’autorisation d’absence pour le salarié aidant, un abondement d’un jour à compter de cinq jours donnés et des communications relatives aux situations des salariés aidants exprimant un besoin de jours seront réalisées. L’accord précise que « les managers jouent un rôle essentiel dans la mise en œuvre des mesures d’accompagnement en faveur des salariés aidants et dans la facilitation de la conciliation des temps professionnels et des temps personnels de leurs collaborateurs. Ils facilitent également la contribution de leurs collaborateurs en favorisant un climat de confiance et de bienveillance ». Comme le confirme le baromètre d’opinion des Français actifs sur les aidants familiaux exerçant une activité́ professionnelle (Occurrence pour La Mutuelle Générale, Juillet 2023), le manager est bien le premier référent des salariés-aidants dans l’entreprise devant les collègues et les RH. Dans les petites et moyennes entreprises, les employeurs se sentent souvent démunis sur ce sujet et privilégient une approche au cas par cas. Dans 45 % des cas, les répondants reconnaissent que le sujet des aidants n’est tout simplement pas abordé selon l’Observatoire BPCE. En cause : le manque de temps, la méconnaissance des dispositifs, mais aussi un potentiel de déstabilisation de l’activité plus fort que dans les grandes entreprises.