Stratégie

Malika Bouchehioua, « la DRH, chef d’orchestre des transformations »

Par Sylvie Aghabachian | Le | Métier rh

Arrivée dans la fonction de DRH à 30 ans, elle a vécu la transformation du groupe La Poste sous l’ère de Jean-Paul Bailly. Un an après l’arrivée à la présidence de Philippe Wahl, la DRH-Postière rejoint la gouvernance familiale des Derichebourg. De nouveaux défis entrepris depuis 2014 dans l’exercice d’une fonction RH en plein bouleversement.

Malika Bouchehioua  - © D.R.
Malika Bouchehioua - © D.R.

« Tu finiras assistante sociale à La Poste ! Mon papa m’avait prédit une carrière de fonctionnaire quand je lui ai appris que j’allais rejoindre ce groupe, qui à l’époque était perçu comme une grande administration ». Nous sommes en 2002. Jean-Paul Bailly, alors président de La Poste a de grands projets de transformation si bien que huit ans plus tard, Malika Bouchehioua, devient DRH à l’âge de 30 ans. « Je suis la fille d’un ouvrier tunisien autodidacte, arrivé dans le 11e arrondissement à Paris, à l’âge de 16 ans, après avoir quitté son village de Zarzis, près de Djerba pour travailler en tant qu’électricien. La valeur travail, l’importance des études ont toujours été une ligne de conduite dans la famille Bouchehioua. » Dans cette fratrie de cinq enfants, le père devenu chef d’une entreprise dans les travaux publics, mise d’abord sur le parcours scolaire de l’aîné, le garçon. Mais à l’arrivée de l’adolescence, il abdique rapidement les études. « Mon père fait un transfert complet sur le numéro 2 de la famille : moi », se souvient la DRH. « Je suis redevable à Papa dit-elle, j’ai fait des études de droit par hasard, pour lui faire plaisir ».

Jean-Emmanuel Rey comme mentor

Sur les bancs de l’université Paris 1, il l’imagine avocate …Un autre hasard, une autre rencontre, en décidera autrement. « Je n’ai pas osé le dire à Papa mais j’étais bouche bée en suivant les cours de droit social prodigués par Jean-Emmanuel Rey. C’est grâce à lui que je suis devenue DRH. » Mais entre la loyauté familiale et les aspirations professionnelles, le choix est cornélien. Diplômée en 2002 d’un troisième cycle, « la fille à Papa », comme elle se fait appeler dans la famille, rejoint donc naturellement un cabinet d’avocat pour faire plaisir à son père mais sans conviction. « J’avais envoyé des candidatures spontanées à l’issue de mes études ». La crainte d’une discrimination liée à son origine sociale ? Elle n’y pense pas. Des difficultés d’accès à un premier emploi liées à son prénom ? Ce n’est pas pour elle. « Je suis un enfant de la République, j’avance, je suis une battante. J’ai tendance à aller au-delà des difficultés. Je crois au vivre ensemble, à l’inclusion, à la diversité et à la capacité à chacun de changer les choses. J’ai gardé le nom de mon père alors que mon nom d’épouse aurait été plus simple pour ma carrière. »

Catherine Daneyrole comme rôle modèle

La bascule dans les RH arrive aussi par le père qui finit par la prévenir, la trouvant peu épanouie dans son début de carrière de juriste : « Quelqu’un appelle tous les midis, c’est La Poste en Seine-et-Marne ». Le DRH cherchait un responsable des relations sociales. Il l’intègre à tous les projets comme la fermeture du centre de tri de Meaux et aux réunions avec le maire Jean-François Copé. Si Jean-Emmanuel Rey est son mentor à l’université, Catherine Daneyrole, directrice générale adjointe, directrice des ressources humaines et des relations sociales des activités Courrier du groupe La Poste, sera sa DRH modèle pour « sa capacité à communiquer et vision à 360 degrés ». En 2012, elle a 30 ans, deux filles, passionnée des relations sociales, elle accède au poste de directrice des ressources humaines du réseau Logistique de la Poste : « il fallait accompagner la transformation du groupe par rapport aux centres de tris, proposer des passerelles-métiers puisque le courrier diminuait, fermer aussi des escales et arrêter le TGV postal. »

Elle participe à la dynamique de la transformation du groupe : la création de la filière comptabilité et finances, la refonte de tous les référentiels de compétences. « Il fallait professionnaliser, accompagner, fluidifier, garantir malgré les fermetures un reclassement pour tous notamment à la logistique et assurer une paix sociale…Mais je ne crois pas aux réalisations individuelles encore plus dans les RH. On peut incarner la transformation mais on ne peut pas réussir seul. Je crois à la force du collectif. »

Elle sera restée Postière dans cette « belle maison où le dialogue social est une force » douze ans. « Nous n’aurions jamais pu mener des transformations s’il n’y avait pas eu un vrai dialogue social d’écoute et de partage. Il y avait aussi des moyens accordés à l’adaptation, à la formation et au développement des compétences des collaborateurs. »

Présidente de l’Agefiph

En 2014, elle rejoint Derichebourg en tant que DRH « pour apporter une complémentarité à sa carrière : sortir du secteur public et d’une gouvernance autour de l’intérêt général afin de basculer dans l’agilité d’une gouvernance familiale et privée ». Elle y a structuré la filière RH en l’animant et en la consolidant et a mis en place la dématérialisation du parcours salarié en renforçant le rôle du responsable RH sur l’accompagnement et le volet compétences. Quatre ans plus tard, en 2018, alors qu’elle agrandit sa famille de faux jumeaux, elle prend la présidence de l’Agefiph (Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées) en tant que membre du collège des employeurs, représentante du Medef. «  Je ne suis pas une femme de réseaux, raconte-t-elle, ma carrière s’est bâtie par le fruit de rencontres. » Concernant son équilibre vie personnelle- vie professionnelle, elle a fait son choix pour éviter les frustrations : « il n’y a pas de bon mode opératoire mais j’ai choisi d’être plutôt une maman le week-end. Je ne culpabilise de finir mes journées de travail tard ou d’être très occupée la semaine. Le week-end je suis présente à 100 % pour mes quatre enfants. »

Les bons capteurs sociaux pour anticiper le changement

Post-crise de la Covid, elle continue de comparer son métier à celui du chef d’orchestre qui mène les transformations avec la réalité quotidienne. « Je n’ai jamais entendu le mot ‘plein emploi’ lors d’une élection présidentielle. C’est inédit ce que nous vivons. Le monde du travail est complètement bouleversé avec aussi une génération distancielle qui ne veut plus se tuer au travail pendant plus de quarante ans comme l’ont fait leur père ou grand père. Les entreprises ne peuvent plus faire des promesses d’embauche à vie. Même moi, la Postière j’ai quitté la Poste au bout de douze ans ».  Pour elle, le rôle du DRH est d’être le garant du collectif qui accompagne les entreprises dans leur transformation « pour moduler la diversité, assurer la place de personnes dans des situations de handicap, attirer et fidéliser les talents, gérer les relations sociales…Nous sommes le régulateur du monde du travail et ce qui est très important c’est d’être connecté avec le terrain et la réalité au quotidien. Une très bonne politique chez les autres peut ne pas marcher chez nous. La finesse est de savoir placer le curseur. La difficulté dans les entreprises est d’être proche du terrain et d’avoir les bons capteurs sociaux pour anticiper le changement. »

Télétravail : un non-sujet

Chez Derichebourg, elle s’emploie à adopter ces principes. Certains volets sont des non-sujets : l’égalité des chances, par exemple car ça marche bien ou le télétravail car « 95 % des collaborateurs occupent des postes essentiels non télétravaillables. Vous croyez que je vais accorder à 5 % de salariés deux jours de télétravail par semaine ? Un jour c’est suffisant. »  Le droit à la déconnexion est aussi un non-sujet pour elle, mais « contrairement à d’autres, j’ai une problématique sur l’appartenance, la ponctualité, le temps de trajet…Il faut être toujours connectée à la réalité et avoir des priorités. » Pour l’aider et l’accompagner dans cette tâche, son ancien professeur de droit, Jean-Emmanuel Rey n’est jamais loin : « je le revois deux fois par an en le faisant intervenir auprès de mon équipe RH. Il nous apporte toujours de la fraîcheur et sa vision hélicoptère. Et j’ai rituellement la dédicace de son livre « Droit du travail, droit vivant ».