Stratégie

« Notre sujet est d’être libre dans un cadre collectif »(Olivier Ruthardt, Malakoff Humanis)

Par Sylvie Aghabachian | Le | Métier rh

Pénurie de compétences, engagement, nouveau rapport au travail, accompagnement des managers : Olivier Ruthardt, directeur général adjoint, en charge des ressources humaines, de l’environnement du travail, de l’organisation et de l’expérience collaborateur chez Malakoff Humanis donne sa vision des transformations qui attendent les DRH.

Olivier Ruthardt - © D.R.
Olivier Ruthardt - © D.R.

La crise sanitaire a donné aux DRH l’opportunité de réinterroger et de rénover les organisations de travail. Quels constats faites-vous post-crise ?

Le premier constat est la pénurie de compétences sur les métiers/compétences les plus challengés : ceux de l’automatisation, de la data et du chiffre, et plus loin ceux qui touchent à la qualité relationnelle. Les outils eux-mêmes ont beaucoup évolué avec une consonance liée à l’intelligence artificielle. Et les conséquences du fonctionnement à distance vivifient encore plus les tensions sur le marché.

Le deuxième constat est un besoin de retrouver un nouveau modèle relationnel. Ce que nous avons vécu à distance était une réponse à une obligation de sécurité. Cela a permis d’installer plusieurs types de relations :

  • la capacité à réaliser qu’il était possible de télétravailler sur de nombreux métiers ;
  • un effet bénéfique pour les salariés et les organisations de faire la part des choses. Les organisations ont encore besoin de déterminer en amont ce qui doit/peut être accompli en commun / distanciel / présentiel…, entendu comme une nouvelle approche, d’un nouvel équilibre sur les relations de proximité. La qualité relationnelle nécessite d’être priorisée dans les fonctionnements. Le sel de l’intérêt des échanges est de (re)trouver dans la relation à autrui un véritable intérêt à échanger en proximité, à prioriser le contact humain, en prenant en compte des dimensions  émotionnelles liées aux expériences vécues.

Ce sont bien les collectifs de travail qui assurent du soutien social

Le troisième constat concerne d’autres formes de réponses à l’engagement liées parfois au délitement des liens collectifs. Il n’est pas rare de voir certains jours des désertifications de présence sur les sites comme le vendredi, par exemple. Si les relations professionnelles collectives se passent bien et si chacun s’y retrouve d’un point de vue équilibre vie privée-vie professionnelle, cela peut convenir. Mais il faut que chacun(e) se retrouve dans la semaine, ou à tout le moins que les liens collectifs soient vivifiés. Il ne faudrait pas que cet effet de bord positif d’une relation distanciée (en fonction de la nature des tâches à effectuer) soit la seule matrice de toute forme de relation. Il faut garder toujours à l’esprit que ce sont bien les collectifs de travail qui assurent du soutien social. Si l’on vient travailler dans une entreprise c’est aussi pour la richesse des relations collectives que l’ont y développent.

Quelle est la marge de manœuvre du DRH ?

Aujourd’hui, nous avons une dialectique qui est réinterrogée. Nous devons conjuguer beaucoup de choses qui pourraient parfois être contradictoires :

  • On doit à la fois se permettre d’assurer une égalité de traitement dans les rémunérations tout en regardant la singularité/la contribution de chacun ;
  • On doit se faire confiance par principe, c’est toujours agréable de pouvoir compter sur ses collègues mais en recadrant les tricheurs même s’ils ne sont pas nombreux ;
  • On doit être empathique vis-à-vis de chacun tout en étant assertifs ;
  • On doit définir un cap tout en laissant une certaine autonomie dans la réalisation et la déclinaison par les acteurs de terrain des éléments nécessaires à l’épanouissement de chacun ;
  • On doit pouvoir développer une saine émulation entre les personnes sans que cela génère trop de tensions.  Ce n’est pas « moi je » dans un collectif, c’est le « nous ensemble ».

Quand il y a une rupture dans cette dialectique, les transformations sont plus difficiles. Il faut qu’on assume cette complexité.

Le DRH est un agrégateur de talents, le régulateur des tensions opérationnelles, le promoteur de la qualité relationnelle et du respect des singularités.

Et c’est le garant du collectif. Notre sujet est bien d’être libre dans un cadre collectif, mais pas de cheminer de manière floue sans cadre prédéterminé. Nous cherchons constamment l’équilibre.

Faut-il se donner du temps pour rénover quelques thématiques ?

Toujours prendre en compte les signaux faibles

Cela dépend. Il faut être dans l’action en cas de crise par exemple. Il ne faut pas laisser s’installer des solutions dont les conséquences seraient irrémédiables. Il y a des moments où il faut prendre le temps de la réflexion avant l’action. La question du temps implique d’instaurer des séquences. Une fois que l’on est dans l’action, c’est bien d’avoir une logique d’étapes de réussites collectives et individuelles. Prendre le temps, c’est prendre le temps de la réflexion, de l’accompagnement, de la pédagogie nécessaire afin de rebondir sur l’analyse réelle des situations de travail.

Mais quand on est dans l’action, il faut aller jusqu’au bout de la démarche sauf en cas d’erreurs et savoir les reconnaître « et les célébrer », comme des formes d’apprentissages. Et toujours prendre en compte les signaux faibles, c’est essentiel en tant que DRH. Nous sommes à mon sens parmi l’ensemble des parties prenantes, les spécialistes de l’analyse des signaux faibles pour essayer de voir s’il n’existe pas une tendance de fond qui n’aurait pas été prise en compte.

Et sur le nouveau sujet tendance, la semaine des 4 jours, faut-il se donner du temps ?

Le dispositif est séduisant dès lors qu’il touche à des nouvelles formes de répartition du travail.

Nous y sommes favorables en termes d’expérimentations pour celles et ceux qui ne sont pas aujourd’hui éligibles au télétravail.

Par la négociation collective, nous souhaitons ouvrir une expérimentation avec des séquences d’essais à organiser dans le temps, en restant sur une base de 35 heures, en gardant le décompte des horaires ; il ne s’agit pas d’une économie d’heures, ni d’une augmentation indirecte du temps de travail. Nous souhaitons aussi mettre des indicateurs partagés comme :

  • la satisfaction des clients et de nos collègues de travail,
  • la performance économique et sociale,
  • la qualité de vie au travail,…

Les 4 jours de travail par semaine pourraient varier selon les semaines, et ce pour conjuguer les meilleurs équilibres organisationnels possibles, d’un point de vue collectif et personnel.

Les managers seraient moins favorables au télétravail. Comment les accompagner ?

Encore en phase d’expérimentation des nouveaux modes de travail

Ce n’est pas ce que l’on observe chez nous. Mais dans tous les cas, pour les accompagner, il faut prévoir des partages d’expériences, des formations par le co-développement, faire des feed-back, veiller à bonne utilisation / à l’optimisation des outils. Nous sommes tous confrontés à des logiques à la fois techniques et/ou relationnelles. Nous sommes encore en phase d’expérimentation des nouveaux modes de travail. Les accords relatifs au télétravail vont avoir des générations avant et après la crise de la Covid. Nous n’avons pas encore trouvé la martingale. Nous devons engager une dialectique sur ces modalités de travail qui touchent à l’organisation, à l’équilibre vie privée-vie professionnelle, à la performance et à la RSE. Il faut apprendre de manière constante et remettre sur le métier toutes nos expérimentations pour en dégager des grands principes ou des aménagements nécessaires aux bons équilibres collectifs.

Comment se prépare-t-on aux évolutions du rapport au travail ?

La qualité d’un(e) dirigeant(e) est d’être à l’écoute du monde réel et des tendances liées aux évolutions sociétales. Mais c’est aussi d’aller sur le terrain, de se permettre de poser des questions de façon assez récurrente à l’ensemble des salarié(e)s, à leurs représentant(e)s pour avoir leurs points de vues et savoir où ils en sont. Tout autant d’être à l’écoute des nouvelles recrues, des démissionnaires, de nos seniors qui partent à la retraite… Le DRH d’aujourd’hui doit être le capteur de toutes les tendances entrantes et sortantes. Il doit challenger ses positions, avoir « le doute méthodique », se documenter, apprendre, partager… et expérimenter de nouvelles sources de motivations de ses collègues, d’innover pour que l’esprit collectif soit préservé. Il lui faut aussi être attentif au dialogue social et aux remontées/propositions des partenaires sociaux, des médecins du travail. Il faut dans tous les cas des approches riches de ressentis, être sensible à l’inclusion, un sujet important pour toutes les générations, pour ajuster au mieux les organisations avec les réalités de travail, mais aussi être porteur et promoteur de la RSE.

Avec la réforme des retraites, vous préparez-vous à fidéliser les collaborateurs plus longtemps ?

Par principe, la fidélisation de nos collègues est un axe essentiel de nos politiques de rétention. Nous ne sommes pas tous faits du même bois et nous n’avons pas toutes et tous les mêmes ambitions en fonction de nos âges, de nos expériences et de nos situations de vie. Et l’entreprise doit répondre au mieux à ces situations.

Notre sujet est de mettre en place des politiques inclusives globales et équitables, et d’apprécier leurs impacts par l’écoute des parties  prenantes, permettant ainsi de nous ajuster régulièrement le cas échéant. La rétention, la motivation et l’engagement concernent tous les âges. Et nous avons besoin constamment de réenchanter nos relations professionnelles. Nous (re)découvrons que la convivialité est aussi une dimension du travail et que bien travailler, c’est aussi avoir du temps ensemble pour cultiver une qualité d’échange importante.

Que vous inspire l’idée d’imposer un quota de seniors en entreprise ?

Faire confiance au dialogue social de proximité

Il faut pouvoir laisser chaque entreprise avoir une approche au plus proche de ses réalités opérationnelles et faire confiance au dialogue social de proximité pour trouver les meilleurs équilibres possibles. En fonction de nos industries, toutes les entreprises n’ont pas la même problématique. C’est notre responsabilité sociétale et sociale de prendre en compte ces dimensions. Aujourd’hui, nous avons des obligations sur l’alternance, le handicap, les index, … et cela nous a tous fait grandir. Mais si dans un futur proche, nous étions amenés à aborder ces aspects, posons d’abord un diagnostic partagé au sein de nos structures pour en tirer les solutions les plus appropriées. Ce débat est important pour nous à partir où il débouche d’actions pragmatiques. A ce titre, nous pourrions utilement nous inspirer d’expériences réussies dans d’autres pays par exemple.