Stratégie

« Un lien très fort, voire un alignement sont indispensables entre le DG et son DRH » Benoît Serre

Par Fabien Claire | Le | Métier rh

« Un lien très fort, voire un alignement sont, à mon avis, indispensables, entre la direction générale et son DRH », estime Benoît Serre, Vice-président délégué de l’ANDRH. «  C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, très souvent, le DRH change dans la foulée d’un changement de DG ».

Pour celui qui indique avoir découvert la fonction RH « par hasard », ce lien peut parfois conduire le DRH à s’opposer à sa direction générale, ce qui ne signifie pas aller à l’encontre de la logique et de l’intérêt économique de l’entreprise, mais l’enjeu peut être de tout mettre en oeuvre « pour exécuter les décisions de la manière la plus respectueuse des personnes ».

Revenant sur son parcours, Benoît Serre partage ses convictions sur la fonction de DRH « une fonction du temps long », comme celle du directeur marketing « le principal allié du DRH au sein du Comex », selon Benoît Serre.

Benoît Serre, Vice-président délégué de l’ANDRH et DRH France de l’Oréal - © DR.
Benoît Serre, Vice-président délégué de l’ANDRH et DRH France de l’Oréal - © DR.

Quel a été votre premier contact avec la fonction RH ?

J’ai découvert la fonction RH par hasard, alors que je dirigeais “La maison des collectivités locales”, filiale de Ernst & Young, spécialisée dans les formations à destination du secteur public local. Avec Jean Dumonteil, alors dirigeant de la Gazette des Communes, nous avons créé un site de formation RH pour les collectivités locales, car nous avions la conviction que la mise en place des 35 heures, mais également le développement de l’usage de l’email dans les collectivités, allaient obliger celles-ci à traiter de nouveaux sujets RH. Le projet a très bien fonctionné et je me suis passionné pour les sujets liés au développement RH des organisations. Et puis j’ai rejoint l’IGS pour prendre en charge l’activité de formation continue. Aprés 5 ans à l’IGS, j’ai rejoint Le Groupe Leroy Merlin pour prendre en charge l’université d’entreprise, puis j’ai été nommé DRH de Leroy Merlin en Russie. Je parlerai moins d’une découverte de la fonction RH que d’une rencontre avec les enjeux humains et organisationnels de l’entreprise, pour lesquels je me suis passionné.

Quels enjeux vous ont ainsi passionné dans ce métier de DRH ?

L’art du DRH, dans sa dimension humaine au sens premier du terme, c’est de faire fonctionner ensemble des gens qui n’ont pas choisi de vivre ensemble. Lorsque vous rejoignez une entreprise, vous choisissez celle-ci, vous rejoignez un projet, mais vous ne choisissez pas vos collègues. Faire collaborer au mieux ce collectif passe par une grande rigueur sur les sujets liés au social, au développement des compétences, sur l’organisation et bien évidemment au management et au sens de l’action commune.

C’est pourquoi je considère que le DRH a un véritable rôle d’incarnation de la fonction. Sa présence, ses capacités de communication, sont des éléments essentiels pour moi.

Comment le DRH doit-il fonctionner avec sa direction générale ?

Un lien très fort, voire un alignement sont, à mon avis, indispensables. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, très souvent, le DRH change dans la foulée d’un changement de DG. Le DRH travaille sur une matière très instable et parfois même méconnue, donc il faut des convictions, voire une approche philosophique très proche, entre le DG et le DRH. Pour ma part, j’ai eu la grande chance de travailler plusieurs fois avec des directeurs généraux dont je me sentais humainement et professionnellement très proche.  Si cette cohérence n’existe pas ou plus, c’est difficile de bien assumer la fonction.

La proximité entre le DRH et le DG lui permet-elle néanmoins de s’opposer, dans certains cas, à son DG ?

le DRH doit pouvoir s’opposer à sa direction générale

C’est un point essentiel, le DRH doit pouvoir s’opposer à sa direction générale, ce qui ne signifie pas aller à l’encontre de la logique et de l’intérêt économique de l’entreprise. Cette capacité à s’opposer impose au moins un devoir au DRH : comprendre en profondeur l’activité de l’entreprise. Mais par exemple, si l’entreprise confrontée à des difficultés doit mettre en place un PSE, l’enjeu n’est pas de remettre en cause le principe de cette réduction d’effectifs si sa nécessité est démontrée. Dans ce cas, la mission du DRH doit être de faire les choses proprement. Notre métier peut conduire à mettre en œuvre des décisions difficiles, mais ce qui importe c’est d’être associés au plus tôt à la décision pour exécuter cette décision de la manière la plus respectueuse des personnes.

J’aime bien la phrase de Richelieu qui dit que “la politique, c’est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire”. Sur le même mode, je dirais que la RH, c’est l’art de rendre acceptable ce qui est nécessaire. 

Quel est votre regard sur les relations sociales, qui sont une part importante du métier ?

On peut appréhender les organisations syndicales de deux façons : soit pour ce qu’elles projettent, soit pour ce qu’elles sont et ce que sont ceux qui les composent, dans l’entreprise. Pour ma part je retiens plutôt cette deuxième conception. L’enjeu c’est d’abord d’établir un dialogue transparent, ce qui n’est pas toujours évident. Je le résume par une formule : “je pense toujours ce que je dis, mais je ne dis pas toujours ce que je pense”.

N’avez-vous jamais connu de crise sociale ?

Bien sûr, j’ai moi aussi connu des négociations difficiles. Par exemple, lorsque j’étais DGRH de la Macif et que nous avons remis à plat tout le modèle social, le chantier était complexe et difficile à gérer, mais nous n’avons jamais rompu le dialogue, malgré les moments difficiles de la négociation avec des grèves, des manifestations. Malgré tout, j’ai toujours respecté les gens et leurs opinions, sans jamais verser dans une forme de populisme social qui débouche trop souvent sur une sorte de consensus mou qui ne satisfait personne, ni la direction, ni les OS. Outre cette confiance et cette transparence, le troisième point fondamental pour le DRH est de savoir communiquer en interne.

Les OS représentatives sont légitimes pour communiquer auprès des salariés, mais rien n’interdit au DRH de communiquer lui aussi. Ces deux formes de communication ne s’opposent pas, elles peuvent même se compléter.

Ne s’agit-il pas d’une autre forme de démocratie directe parallèle ?

Si les organisations syndicales ont toute la légitimité pour donner leur avis sur un projet, la direction doit pouvoir exprimer sa propre vision

Non, pas du tout, je respecte les instances. Demain si une instance rendait un avis non-conforme sur un projet d’entreprise, alors qu’un référendum interne donnait un avis favorable, je ne remettrais pas en cause l’avis de l’instance représentative. Simplement, si les organisations syndicales ont toute la légitimité pour donner leur avis sur un projet, la direction doit pouvoir exprimer sa propre vision et ça ne constitue en rien un délit d’entrave. Le délit d’entrave est constitué lorsque l’on ne consulte pas les instances ou qu’on met en œuvre sans avoir recueilli leur avis, mais le fait d’expliquer, de communiquer en interne fait partie de la mission de la DRH.

Les échanges lors de l’université de l’ANDRH, organisée à Tours du 1er au 02 juin 2023, ont montré combien les gens étaient en attente de communication, de consultations voire d’association aux décisions. Et les organisations syndicales répondent, en partie, à cette attente. Le DRH doit impérativement rester au contact des équipes. Lorsque j’étais chez Leroy-Merlin, j’ai visité plus de 80 % des magasins pour rencontrer les équipes parce que c’est bien là que se passe la vie de l’entreprise. C’est également essentiel pour rester connecter à l’activité économique et de toucher du doigt les véritables problématiques des gens. C’est indispensable pour que le DRH puisse exprimer les besoins de l’entreprise. Je me méfie vraiment des effets de siège, qui donnent lieu à des décisions descendantes, sur des réalités mal connues. DRH C’est un métier collectif et surtout pas sédentaire. Le DRH doit sortir de son bureau, se confronter aux gens. C’est également indispensable si l’on veut pouvoir incarner l’entreprise.

Comme vice-président de l’ANDRH, vous prenez très souvent la parole dans les médias, dans les sphères politiques. Pourquoi cette exposition ?

Je suis toujours intervenu à l’extérieur, au cours de ma carrière et j’ai la chance d’être souvent invité. Mais sortir ainsi à l’extérieur de l’entreprise, pas seulement dans les médias, c’est une autre nécessité pour le DRH. Le DRH qui se contenterait de l’interne se retrouverait en vase clos, or il est important d’échanger avec des confrères et des consœurs, avec des organisations syndicales. Je me souviens avoir beaucoup appris en participant au congrès de la fédération de l’assurance de la CFE-CGC, qui m’avait invité lorsque j’étais à la Macif.

Une entreprise, c’est une société en miniature et tous les mouvements sociétaux traversent aussi l’entreprise. Se confronter à ces mouvements peut permettre de les identifier, voire de les comprendre avec les autres. C’est un atout pour le DRH s’il ne veut pas passer sa vie professionnelle à courir après la musique.

Quels conseils donneriez-vous à une jeune souhaitant se lancer dans la fonction RH ?

D’abord il faut penser collectif car la DRH est d’abord une fonction collective, donc votre métier sera de faire fonctionner la vie collective de l’organisation, tout en respectant les orientations stratégiques, dans le respect de la réalité économique, de la législation, mais également dans le respect des gens qui composent l’entreprise.

La fonction RH est la fonction du temps long

Il faut également “penser plus loin” car la matière humaine a un temps de réaction nécessaire, donc comme DRH vous devez toujours vous projeter à trois ou quatre ans. La fonction RH est la fonction du temps long. C’est ce qui explique certaines tensions dans les Comex car d’autres fonctions travaillent sur des temps plus courts. D’ailleurs je pense que le principal allié du DRH dans un Comex est le directeur marketing. Il est sur le même espace-temps. Il projette les besoins à trois ou quatre ans, comme le DRH projette les besoins des salariés et les besoins de l’entreprise en termes de compétences à trois ou quatre ans.