Stratégie

Une vie de DRH en temps de crise (Frédéric Henrion, Safran)

Par Sylvie Aghabachian | Le | Métier rh

Après une longue carrière en tant que DRH chez Suez, Frédéric Henrion a rejoint Safran en 2018. Il est aujourd’hui Senior Vice President, Directeur Global Learning & Safran University.
Retour sur son parcours de DRH émaillé par des crises sociales, humaines, économiques sans compter celle de la Covid-19 et celle à venir sur les compétences.

Frédéric Henrion - © D.R.
Frédéric Henrion - © D.R.

Milieu des années 80, nous sommes à Nancy, en Lorraine. Frédéric, jeune étudiant en Master 1 de droit, effectue un stage dans le secteur de la sidérurgie. Le gouvernement français et l’Europe décident de fermer toutes les usines sidérurgiques. « J’étais au service du personnel, se souvient Frédéric Henrion, aujourd’hui DRH chez Safran.  J’ai vu des dizaines de milliers de personnes perdre leur emploi, se retrouver obligatoirement à la retraite à 50 ans, y compris mon père. Certains ont été aussi reclassés dans d’autres métiers, d’autres ont été mutés dans d’autres régions de France. » Un drame social se joue devant ses yeux et une vocation est née. Son Master en droit du travail en poche, il quitte Nancy pour rejoindre le CIFFOP à Paris. Sa carrière dans la fonction RH démarre en 1987 chez Hoechst en tant qu’assistant ressources humaines. En 1988, il rejoint La Lyonnaise des eaux (aujourd’hui Suez) en tant que chargé d’études à la direction des ressources humaines. Il y occupe les postes de responsable des ressources humaines, puis de directeur des carrières.

Premier poste DRH après un passage aux États-Unis

Début des années 2000, Suez rachète la société américaine United Water. L’un des objectifs du groupe était de trouver des talents anglophones pour participer au développement international de Suez. Frédéric Henrion est envoyé aux États-Unis, à Harrington Park dans le New Jersey. La bulle internet explose, puis arrive le 11 septembre 2001. « Nous avons eu la chance de ne pas avoir de victime directe ou indirecte au sein du groupe. Mais nous avons vécu un traumatisme. Certaines victimes habitaient dans mon quartier. D’un point de vue professionnel, les attentats du World Trade Center et la crise de l’Internet ont provoqué une récession économique dont la société a souffert. J’ai participé à sa remise en l’état avec un plan de départ puis un plan de recrutement en 2003, avant mon retour en France. »

Cette expérience marquante change son regard mais constitue également un accélérateur dans sa carrière. « J’ai passé trois ans aux États-Unis et j’y ai découvert, une autre culture, une autre langue et une façon de voir les ressources humaines, avec un regard plus ouvert sur le monde. Cela m’a donné une dimension supplémentaire qui a encouragé  le groupe Suez à me proposer, deux ans plus tard, mon premier poste de DRH dans la filiale Ondeo Industrial Solutions, une société très européenne. » 

Des Services à l’Industrie

En 2008, Frédéric Henrion est promu directeur des ressources humaines et RSE de la Lyonnaise des eaux puis en 2015, directeur du développement des Ressources Humaines du groupe Suez. Le DRH, qui a déjà passé une grande partie de sa carrière dans les services, décide de rejoindre l’Industrie. En 2018, il est nommé à la tête des ressources humaines de Safran Helicopter Engines. « La maîtrise de mon métier est adaptable dans beaucoup d’activités. Nous exerçons une fonction transversale qui nécessite juste une flexibilité mentale pour comprendre le métier. Dans les services, le principal capital est l’humain. La capacité à parler avec le client, à être dans la relation commerciale sont prédominants. Dans l’industrie, chez Safran, ce qui compte c’est le produit. La capacité à développer des talents tourne plus vers le savoir-faire technologique ou la capacité à manager des équipes dans une usine, par exemple ».

Préserver la santé psychologique des collaborateurs : le vrai rôle du DRH

16 mars 2020, lors d’une allocution télévisée, le président de la République, Emmanuel Macron annonce la mise en place d’un confinement en France. Frédéric Henrion a déjà connu et géré des crises sociales, humaines, économiques dans sa fonction. Il découvre une crise sanitaire avec la Covid- 19. « Depuis le 11/09/2001, j’ai développé une capacité à garder la tête froide et à prendre du recul alors que le reste du collectif est soit traumatisé, soit sidéré, soit en difficulté. Cela est propre à notre métier de DRH : quand les loups crient, il ne faut pas crier avec eux, alors que nous sommes aussi impactés personnellement. Je me suis probablement créé des réflexes qui me permettent, tout en étant moi-même impacté, de mettre les choses de côté, afin de prendre des mesures adéquates pour préserver la santé, la sécurité et le bien-être psychologique du reste du collectif. »

Septembre 2022, à l’ère du monde post-covid, des difficultés de recrutement, de la réforme des retraites, de la quête de sens des salariés et de l’enjeu d’engagement des DRH, Frédéric Henrion est nommé directeur Global Learning & Safran University de Safran. « On a demandé aux DRH de faire du social, de l’informatique, puis le bonheur des gens au travail dans les années 90, avant de les plonger dans la finance. Aujourd’hui, il nous faut donner du sens et de l’engagement, mais ce sont des valeurs très personnelles. Certains s’engagent pour le salaire, d’autres pour la carrière, d’autres pour autre chose, en revanche préserver la santé psychologique des collaborateurs fait vraiment partie de notre rôle ». Le DRH aime comparer son métier à celui d’un jardinier qui doit s’occuper d’un terrain afin que chacun vienne travailler en se sentant en sécurité. « Pour cela, il faut éliminer la discrimination, travailler la diversité et l’inclusion, s’occuper du handicap, de l’égalité professionnelle… Un DRH à la tête de dizaines de milliers de personnes est comme le maire d’une grande ville ou le président d’un pays. Il se passe toujours des choses mais quand il y a des difficultés ou bien des crises, il faut en trouver les raisons et les traiter. Et si le terrain de jeu est propre, tout va bien. »

Gérer la révolution complète de tous les métiers

Mai 2023, l’application mobile ChatGPT, lancée aux États-Unis arrive en France. Les métiers vont changer, s’inquiètent les DRH. Dans le même temps, les entreprises devront avoir demain une activité à zéro carbone qui impactera les compétences générales. Frédéric Henrion perçoit déjà les impacts de ces grands changements dans le travail du DRH : « L’arrivée de la data bouleversera toutes les compétences et tous ces changements impacteront les équipes RH. Nous allons gérer la révolution complète de tous les métiers, après avoir beaucoup formé, il faudra accompagner un nombre de reconversions difficile à mesurer ». La solution est déjà toute trouvée chez Safran : anticiper en permettant au salarié de tracer son parcours de carrière en autonomie, avant d’aller voir son manager. « Nous sommes en train d’introduire dans notre système d’information de l’IA avec la société Néobrain. Il s’agit d’un outil, au service du salarié, qui lui permettra d’évaluer ses compétences, de regarder les autres postes de l’entreprise susceptibles de l’intéresser et d’évaluer le gap pour envisager un plan d’action pour accéder aux postes de demain. Cet outil proposera même des formations pour acquérir les compétences manquantes. On veut accélérer la mobilité interne et leur permettre de se former plus et par eux-mêmes, sans attendre le plan de formation traditionnel », se réjouit-il.  Cette IA permettra de retourner la façon habituelle de travailler. Aujourd’hui, c’est l’entreprise qui a un besoin et qui cherche des talents. Cet outil donnera la main au salarié. Une nouvelle façon pour ce DRH de gérer la crise du futur, celle des compétences.